Le jardin, refuge salvateur
Focus
Le jardin est associé étroitement à l’idée de Paradis. Un espace où la temporalité serait celle de l’âge d’or et qui serait préservé des maux extérieurs. Pour cette raison, le jardin est perçu comme un refuge salvateur.
Pas de jardin sans clôture
L’une des caractéristiques du jardin est d’être ceint d’une clôture. Selon les époques, la nature et la hauteur de l’enceinte varient : mur de pierre, palissade ou treillage végétal, grille voire sauts de loup qui permettent de ménager les vues. Son unique fonction est de protéger le jardin des intrus, homme ou bête, et de préserver l’harmonie qui y règne. Le jardin sans doute le plus représentatif de cette soustraction du monde est une forme du jardin médiéval, aussi appelé hortus conclusus, le jardin clos. Ce type de jardin n’est pas parvenu jusqu’à nous, mais certains jardins ont su en restituer l’esprit comme le Jardin des Cinq Sens d’Yvoire.
Les plantes salvatrices
L’hortus conclusus est un jardin dont la taille modeste est due à son aménagement au sein d’un bâtiment préexistant, dans une cour ou un cloître. L’hortus conclusus des cloîtres est planté de simples, utilisées pour nourrir et soigner le corps comme l’âme. On y trouve entre autres de la menthe, de la lavande, du thym, de la sauge dont le nom latin, salvia “qui sauve”, “qui guérit”, illustre le pouvoir doublement guérisseur d’une plante bonne pour le corps et pour le salut de l’âme. L’utilisation des plantes en pharmacopée est consignée dans de nombreux ouvrages médiévaux dont le plus connus aujourd’hui est sans doute Physica de la célèbre moniale Hildegarde de Bingen qui recense les plantes et leurs effets. Les fleurs ne sont bien sûr pas absentes. Les plus présentes, car sans doute les plus symboliques, sont la rose et le lis appréciés pour leur parfum et leur beauté. A la rose est associée la Vierge Marie et par assimilation, l’amour le plus noble dont il est question par exemple dans le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et Jean de Meung, le lis est lui une allégorie de la pureté.
Le décor de l’hortus conclusus
Selon qu’il est civil ou religieux, son ornement est plus ou moins riche mais il est toujours empreint d’une forte symbolique. En terme de disposition, l’hortus conclusus est principalement de forme carrée ou rectangulaire. Il est parcouru d’allées perpendiculaires qui définissent des parterres ou parquets où sont cultivées les végétaux. Au centre du jardin, à l’intersection des allées, une fontaine agrémente le jardin et permet également de fournir l’eau nécessaire à l’arrosage. La fontaine rappelle la fontaine du jardin d’Éden, la fons vitae, la fontaine de vie. Sobre dans les jardins religieux, la fontaine centrale peut devenir une véritable œuvre d’architecture dans les jardins civils qui invite donc à une ornementation enrichie à mesure que l’on s’approche de la Renaissance. Tout un mobilier de jardin, banc, pergola en berceau, treillage, etc. apparaît. Le cadre devient idyllique, propice aux plaisirs profanes, à la musique, à la danse, et à l’amour.
La peinture et la littérature témoignent de ce qu’était le jardin au Moyen-Âge. Dans le Décameron de Boccace (v. 1313-1375), il est question de sept jeunes femmes et trois jeunes hommes qui se retirent dans des villas éloignées de Florence pour fuir la peste noire de 1348. S’éloigner de la ville et de son air vicié pour se rapprocher de la Nature était déjà une pratique courante sous l’Antiquité romaine.
Là-bas on entend le chant des oiseaux, on voit les plaines et les collines se couvrir de vertes frondaisons. Les champs de blé ondulent comme la mer. Il y a des arbres de mille sortes et le ciel a beau se courroucer, il ne refuse pourtant pas ce rayonnement de beauté éternelle dont le spectacle est plus séduisant que les murs vides de notre cité. L’air est également plus frais que chez nous. Décaméron p. 18-19
Ils passent leur retraite dans deux hortus conclusus. Le second est décrit en ces mots :
Alors s’ouvre la porte d’un jardin […] On y pénètre. A peine entrés, les visiteurs eurent une impression générale de merveilleuse beauté. Ils commencèrent à détailler de plus près ses splendeurs. Tout autour du jardin, et plus d’un fois même au milieu, s’allongeaient de larges allées, droites comme le jet d’une flèche, et couvertes de vignes en arceaux […] Quant aux bords des allées, ils disparaissaient entièrement sous des buissons de roses blanches et vermeilles et de jasmin. Le matin, et même vers l’heure de midi, on pouvait donc se promener partout avec délice sous une ombre odoriférante, et sans être atteint par les rayons du soleil. Le temps me fait défaut pour vous décrire le nombre, la nature, la disposition des essences végétales qui décoraient le site. […] Au milieu du jardin se déroulait une prairie, au gazon si foncé qu’il semblait noir, et qui était bariolée de mille fleurs aux couleurs multiples. Des orangers et des cèdres l’entouraient de leur vert profond et vif […] Au centre de la prairie s’élevait une fontaine de marbre d’une éblouissante blancheur, dont les ciselures étaient une merveille. En son milieu, se dressait une colonnade que surmontait une statuette. […] La vie de ce jardin, l’harmonie de son dessin, les arbres, la fontaine, les ruisseaux qui s’en échappaient furent d’un tel agrément pour les dames et les trois jeunes gens, qu’une même exclamation s’échappa de toutes les lèvres : si l’on pouvait faire le paradis sur terre, quel autre aspect lui donner que celui de ce parc ? Décaméron, p. 178-180
Sources
Moulinier Laurence. La botanique d’Hildegarde de Bingen. In: Médiévales, n°16-17, 1989. Plantes, mets et mots. Dialogues avec André-Georges Haudricourt, sous la direction de Françoise Sabban, Odile Redon et François Jacquesson. pp. 113-129.
DOI https://doi.org/10.3406/medi.1989.1142
www.persee.fr/doc/medi_0751-2708_1989_num_8_16_1142
Laurence Moulinier. Hildegarde de Bingen, les plantes médicinales et le jugement de la postérité : pour une mise en perspective. Les plantes médicinales chez Hildegarde de Bingen, Oct 1993, Gent, Belgique. pp.61-75.
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00608791/document
Michel Baridon. Les Jardins. Paysagistes – Jardiniers – Poètes. Paris. Bouquins. 1998. 1240 p.